Le Triangle Dalinien est la figure géométrique qui apparaîtrait sur une carte de la Catalogne si l’on traçait une ligne reliant les communes de Púbol, Portlligat et Figueres. Ces trois lieux racontent l’itinéraire de vie d’un artiste qui, malgré sa projection internationale, est resté profondément attaché à sa terre natale. Concentré sur un territoire d’à peine quarante kilomètres carrés, cet espace réunit les éléments essentiels pour comprendre l’univers de Salvador Dalí : le paysage, la lumière, l’architecture, la géologie, les traditions, les légendes, la gastronomie… tout ce qui entoure les Maisons-Musées de Portlligat et de Púbol ainsi que le Théâtre-Musée Dalí de Figueres.

Dans ce lieu privilégié, le réel et le sublime se touchent presque. Mon paradis mystique commence dans les plaines de l’Ampurdan, entouré par les collines des Albères, et trouve sa plénitude dans la baie de Cadaqués. Ce pays est mon inspiration permanente. 

Salvador Dalí

Un Voyage dans l’Univers Surréaliste de Salvador Dalí

Le Triangle Dalinien est un itinéraire fascinant qui relie trois lieux emblématiques de l’Empordà, en Catalogne, étroitement liés à la vie et à l’œuvre du célèbre peintre surréaliste Salvador Dalí. Ce parcours offre une immersion profonde dans l’univers créatif et personnel de l’artiste.

Théâtre -Musée Dalí, Figueres

Salvador Dalí a créé le Théâtre-Musée Dalí, le plus grand objet surréaliste au monde, sur les ruines de l’ancien Théâtre Municipal de Figueres, un édifice néoclassique construit au milieu du XIXe siècle et détruit par un incendie dans les derniers instants de la Guerre civile espagnole. Pénétrer dans cet espace, permet au visiteur d’entrer dans l’esprit de l’artiste et de découvrir les multiples facettes de son univers personnel et artistique. Il ne s’agit pas seulement du lieu à partir duquel Dalí a choisi de présenter son œuvre au monde. C’est aussi sa création la plus ambitieuse, une œuvre d’art totale, qui accueille et intègre certaines de ses plus grandes réalisations, pour la plupart sélectionnées et installées par lui-même dans les différents espaces. Dalí a présenté le projet de ce musée à la presse en 1961 et l’a inauguré aux côtés de Gala le 28 septembre 1974.

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Où, si ce n’est dans ma ville, doit s’établir ce qui, de mon oeuvre, sera le plus extravagant et le plus solide? 

Salvador Dalí


Au début des années 1960, Salvador Dalí jouit déjà d’une importante reconnaissance internationale et a exposé son œuvre à travers le monde. C’est à ce moment-là que les autorités municipales de Figueres, la ville où il est né en 1904, envisagent la création d’une salle monographique au sein du futur musée de l’Empordà. La réponse de l’artiste est sans équivoque : il créera son propre musée dans sa ville d’origine.


Probablement inspiré par la dimension théâtrale du lieu, mais aussi par son attrait pour les espaces en ruine — il voue notamment une grande admiration au Palazzo Reale de Milan, bombardé pendant la Seconde Guerre mondiale —, Dalí jette son dévolu sur l’ancien théâtre municipal construit en 1850 par l’architecte Josep Roca i Bros. Ce bâtiment constitue à la fois un témoignage de l’architecture civile néoclassique et un rare exemple de théâtre à l’italienne. Partiellement détruit par un incendie à la fin de la Guerre Civile Espagnole, il n’en reste alors que la structure périphérique. C’est pourtant ce lieu que Dalí choisit comme site pour son grand monument surréaliste. D’autres facteurs, plus émotionnels, permettent également de comprendre ce choix. Il s’agit du théâtre de sa ville natale, situé à côté de l’église Sant Pere où il fut baptisé, et de l’ancienne salle de la Société de Concerts, où il exposa pour la première fois ses œuvres en 1919.

Dalí annonce la création de son musée à la presse en 1961. Deux ans plus tard, la Direction générale des Beaux-Arts confie le projet de restauration du bâtiment à l’architecte Joaquim Ros de Ramis, en collaboration avec l’architecte municipal Alexandre Bonaterra. Bien que certains travaux soient entrepris au cours des années 1960, l’essentiel du chantier a lieu entre 1970 et 1974. Durant cette période, Dalí s’investit pleinement dans le projet muséographique, aussi bien sur le plan conceptuel qu’exécutif, allant jusqu’à concevoir les moindres détails. Il transforme chaque espace de l’ancien théâtre municipal en une nouvelle salle du musée, à travers une intervention artistique qui s’attache à préserver, autant que possible, l’aura et l’architecture encore en place du bâtiment d’origine. Outre les œuvres qu’il choisira de déposer dans ce musée, les interventions architecturales et décoratives qu’il conçoit dans la cour, sur la scène ou dans certains couloirs des trois étages comptent parmi ses apports les plus remarquables et constituent aussi un véritable condensé de références universelles à l’histoire de l’art.

En 1970, Dalí présente son projet muséographique au Musée Gustave Moreau de Paris. À cette occasion, il dévoile également les premières œuvres destinées à être exposées dans son futur musée : le rideau de scène du ballet Laberinth, qu’il installera sur la scène, ainsi que le panneau principal destiné à orner le plafond du Palais du Vent, qu’il a déjà commencé à peindre dans son atelier de Portlligat. En 1972, l’un des éléments les plus emblématiques du musée est installé : la structure réticulée transparente en forme de coupole géodésique qui surplombe la scène. Dalí s’était intéressé aux structures géodésiques novatrices de l’architecte américain Buckminster Fuller, mais c’est finalement l’architecte espagnol Emilio Pérez Piñero, installé à Calasparra, qui réalise cette coupole. Devenue un symbole du Musée, elle l’est aussi de la ville de Figueres.


En 1973, une préinauguration a lieu à l’occasion de l’exposition des bijoux créés par Dalí pour la Owen Cheatham Foundation, mais l’inauguration officielle du Théâtre-Musée Dalí se tient le 28 septembre 1974. Dalí ne s’arrête pas là : il poursuit l’élaboration du Musée bien au-delà de cette date, et ce jusqu’à sa mort. Dès le mois suivant, il commence l’installation du Taxi pluvieux, qui trône aujourd’hui dans l’ancien parterre du théâtre et accueille les visiteurs. En 1975, Dalí et Antoni Pitxot conçoivent ensemble les « monstres grotesques », une sculpture architecturale extrêmement complexe installée dans les fenêtres centrales de la cour, réalisée à partir de branches, d’anciennes gargouilles de l’église Sant Pere, de coquillages et de pierres du Cap de Creus. Cette même année, est également installé le Monument à Francesc Pujols devant la façade principale du Musée. Cet hommage de Dalí à l’écrivain et philosophe catalan, père de l’Hyparxiologie, s’inscrit dans le cadre de l’amitié et de l’admiration profonde qu’il lui portait.


Par ailleurs, l’espace de l’ancien théâtre transformé par Dalí s’agrandit avec l’ajout de nouvelles salles dans la Tour Galatea, anciennement Tour Gorgot, un bâtiment adjacent acquis par le Conseil du Théâtre-Musée Dalí en 1981. L’artiste conçoit lui-même la décoration de la façade extérieure, ornée des emblématiques pains à trois croûtes, ainsi que des œufs et des mannequins qui couronnent la corniche supérieure. C’est dans cet espace que sont initialement déposées de nombreuses œuvres issues du legs de l’artiste : des œuvres stéréoscopiques, des anamorphoses, ainsi que les nouvelles acquisitions de la Fondation Gala-Salvador Dalí. Aujourd’hui, cet espace accueille également des expositions temporaires. Une nouvelle extension du Musée voit le jour en 2001, avec l’inauguration de l’espace Dalí-Bijoux, adjacent à la Tour Galatea. Le visiteur y découvre les trente-sept bijoux en or et pierres précieuses conçus par Dalí pour l’ancienne collection de l’Owen Cheatham Foundation, ainsi que les dessins préparatoires réalisés par l’artiste lui-même.


Nulle part ailleurs qu’en ce Musée il n’est possible de comprendre à quel point Dalí fut un artiste total. Grâce à sa volonté, le visiteur peut découvrir l’ensemble de son parcours artistique à travers une large sélection d’œuvres, tant du point de vue chronologique que par la diversité des typologies et techniques employées au fil de son processus de création. Cette collection est d’ailleurs la plus complète et représentative de toutes les disciplines dans lesquelles Dalí s’est exprimé : peintures, sculptures, objets, bijoux, dessins, gravures, installations — la plupart conçues ex professo pour ce lieu —, mais aussi stéréoscopies, hologrammes, et bien d’autres encore. Sans oublier certaines de ses créations littéraires les plus emblématiques, comme Le Mythe tragique de L’Angélus de Millet ou ses Dix recettes d’immortalité.


La majorité des œuvres présentées dans le Musée sont celles que Dalí a créées ou sélectionnées expressément pour cet espace. Depuis 1991, seules les acquisitions ultérieures réalisées par la Fondation Gala-Salvador Dalí sont venues compléter cette collection. L’artiste a enrichi la sélection de ses propres œuvres par des références et hommages à ses grands maîtres, notamment Raphaël, Vermeer et Velázquez, auxquels il s’identifie tout en les transcendant. Ainsi, ce Musée constitue également un vaste hommage aux grands maîtres de l’histoire de l’art qui ont inspiré Dalí. Mais ce n’est pas tout : aux côtés de ses propres créations, Dalí inclut aussi des œuvres d’autres contemporains, depuis celles de ses amis Evarist Vallès et Antoni Pitxot jusqu’à celles d’artistes de renommée internationale tels que Marcel Duchamp, John de Andrea, Ernst Fuchs ou Wolf Vostell. Par ailleurs, dans la Salle des chefs-d’œuvre située au troisième étage, il place plusieurs pièces issues de sa collection personnelle, parmi lesquelles des œuvres de Greco, William-Adolphe Bouguereau, Jean-Louis-Ernest Meissonier, Gerard Dou, Marià Fortuny ou Modest Urgell.


« Je veux que mon musée soit comme un bloc unique, un labyrinthe, un grand objet surréaliste. Ce sera un musée absolument théâtral. Les gens qui y viendront en repartiront avec l’impression d’avoir fait un rêve théâtral  » C’est sans doute pour cela que le parcours du Théâtre-Musée Dalí ne suit aucun ordre préétabli. L’artiste souhaite que le visiteur adopte une posture active, libre d’inventer son propre itinéraire, de tisser ses propres lectures et d’attribuer lui-même un sens à chaque œuvre d’art. Une expérience unique et immersive, un voyage au cœur de l’esprit de Dalí, destiné à faire comprendre son œuvre, ses énigmes et sa portée dans l’histoire de l’art universel.


Chaque salle ou espace constitue un univers en soi : la Cour, la Scène, la Salle du Trésor, la Salle des Poissonneries, le Palais du Vent… permettent au visiteur de traverser les premières expériences artistiques de l’artiste et sa période de formation dans les années 1920, pour cheminer vers certaines œuvres majeures du surréalisme et de la mystique nucléaire, en passant par sa passion pour la science et les nouvelles technologies, jusqu’aux tableaux du début des années 1980, qui marquent ses dernières créations.


Parmi les œuvres les plus emblématiques figurent notamment : Autoportrait avec l’ « Humanité » (1923), Port Alguer (1924), Le spectre du sex-appeal (1932), Buste de femme rétrospectif (1933), Portrait de Gala portant deux côtelettes en équilibre sur son épaule (1933), Autoportrait mou avec du lard grillé (1941), Poésie d’Amérique – Les athlètes cosmiques (1943), Galarina (1944-45), La Corbeille de pain (1945), Leda atomique (1949), Galatea des sphères (1952), ou encore la Vénus de Milo aux tiroirs (1936/1964).

Maison Salvador Dalí
Portlligat

Salvador Dalí et Gala s’installent à Portlligat, un lieu isolé du Cap de Creus, qui deviendra le centre de leur univers. Dalí, profondément lié à ce paysage, achète en 1930 une petite cabane de pêcheur, puis une seconde, auxquelles il en ajoutera d’autres au fil du temps, comme une structure biologique en croissance, poussant par bourgeonnements cellulaires, à la recherche de davantage de lumière et d’espace pour son atelier. À partir de 1948, après son retour des États-Unis, débute une vaste phase de transformation et l’agrandissement définitif de la maison. C’est à ce moment-là que Dalí y installe son atelier permanent, orienté vers la lumière du nord, comme le recommandaient Léonard de Vinci et les grands maîtres de la peinture. Dalí, et dans une moindre mesure Gala, s’impliquent activement dans tout le processus de construction, aussi bien dans la conception que dans le design des espaces, qui deviennent en eux-mêmes une forme de création artistique. Comme le disait l’écrivain Josep Pla, la maison ressemble chaque jour un peu plus à Dalí.

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On ne peut comprendre ma peinture sans connaître Portlligat

Salvador Dalí

SEn suivant le chemin qui mène au Cap de Creus depuis Cadaqués, s’ouvre la baie de Portlligat. Cet environnement est bien connu de l’artiste, qui, chaque été, quitte Figueres avec sa famille pour s’installer dans la maison de des Llaner. À Cadaqués, Dalí dispose également de l’un de ses premiers ateliers, aménagé à l’étage d’une maison de pêcheurs. Il occupe régulièrement ces lieux pendant les périodes estivales, jusqu’à la rupture avec son père en 1929, liée à sa relation avec Gala, qui le conduit à chercher un nouvel endroit où s’installer avec elle.

Le 20 août 1930, Dalí achète une petite cabane de pêcheur appartenant à Lídia Nogués, surnommée la Ben Plantada, grâce à une avance financière du vicomte de Noailles pour la peinture La vieillesse de Guillaume Tell. Cette première cabane, d’une superficie de vingt-deux mètres carrés, est un espace modeste et austère, sans aucun confort, ni même électricité. Dalí se souviendra de cette période en ces termes :

« C’est là que j’appris à m’appauvrir, à limiter et à polir ma pensée pour qu’elle acquière l’efficacité d’un hache ; le sang y avait un goût de sang et le miel, un goût de miel. C’était une vie dure, sans vin, ni métaphore, une vie dans la lumière de l’éternité. »

Au rez-de-chaussée, une pièce polyvalente est aménagée : elle fait office de salle à manger, de chambre, d’atelier et de vestibule. L’étage supérieur est quant à lui réservé à une salle de bain et à une cuisine. En septembre 1930, Dalí acquiert une seconde cabane, qu’il fera rénover en 1932 avec une petite annexe correspondant à l’actuel office. À partir de 1935, le constructeur Emili Puignau prend en charge le projet d’agrandissement. Deux nouveaux corps de bâtiment sont édifiés : le premier atelier (aujourd’hui la Salle Jaune) et la chambre à coucher (devenue la Salle des oiseaux). Cependant, l’éclatement de la Guerre Civile Espagnole pousse Dalí et Gala à s’éloigner de Portlligat, et en 1940, le couple s’installe définitivement aux États-Unis, où ils demeureront jusqu’en 1948. Pendant cette période, la maison reste inhabitée, jusqu’en 1944, date à laquelle elle est occupée par la famille du peintre Josep Maria Prim.

Lorsque Dalí et Gala reviennent des États-Unis en 1948, ils entreprennent une nouvelle et ultime extension de la maison. Ils achètent alors la cabane Ca l’Arsenio, qui est transformée en bibliothèque et salon, ainsi que le terrain de l’Oliveraie. L’année suivante, trois nouvelles cabanes sont acquises, destinées à abriter la chambre, la cuisine et des pièces destinées au service. À cette époque débute également la construction de l’atelier de l’artiste, situé au premier étage de la maison, qui sera achevé au printemps 1950. On y accède par une porte en forme de triangle isocèle tronqué, conçue par Dalí lui-même.
L’intérieur est un espace blanc, totalement ouvert, baigné par la lumière entrant par deux fenêtres rectangulaires : l’une donnant directement sur la baie de Portlligat et Sa Farnera, l’autre sur les reliefs du versant nord. Cet espace devient son sanctuaire créatif, profondément imprégné de la lumière et du paysage du Cap de Creus, un environnement essentiel pour comprendre son œuvre. C’est en ces lieux que Dalí peint plusieurs de ses œuvres majeures, à l’aide d’un chevalet et d’un système mécanique permettant de maintenir et d’ajuster la hauteur de ses toiles de grand format. Sur ce dispositif, il réalise notamment La bataille de Tétouan ou l’Apothéose du dollar, vers 1965, ainsi que les panneaux du plafond du Palais du Vent du Théâtre-Musée Dalí de Figueres, vers 1972.

L’espace de travail de Dalí s’élargit avec la création de la Chambre des modèles, ainsi que celle d’une mezzanine, où l’artiste travaille également de manière ponctuelle. Aux alentours de 1954, est construit le Pigeonnier, un espace situé dans la zone de l’Oliveraie, où l’on sait que Dalí a réalisé des certaines de ses sculptures.

Dalí déplace aussi parfois son travail en extérieur, dans différents espaces autour de la maison. Il s’installe sur la terrasse, dans l’Oliveraie ou près du chemin appelé « la Voie lactée », un dallage blanc en chaux réalisé en 1958, qui trace la trajectoire d’un chemin parallèle à la mer. Vers 1960, la cour et le mur d’enceinte qui la ferme sont ajoutés, avec l’intention de transformer ce lieu en un enclos inaccessible. L’attirance du peintre pour l’environnement naturel et les formes organiques du Cap de Creus est manifeste tout au long de sa vie. Les images qui nous montrent Dalí en pleine création dans ces espaces extérieurs témoignent d’une fusion totale entre l’artiste et son environnement, un dialogue essentiel qui imprègne les fondements mêmes de son œuvre.

Durant les années 1960 et 1970, d’autres interventions architecturales sont réalisées. Au cours de l’été 1961, s’achève la Salle ovale, un espace presque semi-sphérique inspiré d’un projet que Dalí avait conçu en 1957 pour une salle de fêtes à Acapulco. En 1963, la Salle à manger d’été est construite, et en 1969 débute le projet de la piscine, qui sera achevée à l’été 1971, bien que Dalí continue ensuite à en modifier certains éléments.

Le résultat de toutes ces extensions et transformations est une structure labyrinthique, qui se déploie en une succession d’espaces enchaînés, traversés par de petits passages étroits, légers dénivelés et impasses inattendues. Les fenêtres de chaque pièce, toutes de formes et proportions différentes, poursuivent un objectif commun : cadrer le même paysage, rendre visible, depuis chaque recoin, la baie de Portlligat, référence constante dans l’œuvre de Dalí. Ces espaces, remplis de souvenirs et d’objets personnels du couple Dalí, sont décorés avec des éléments qui leur confèrent une chaleur particulière : tapis, chaux, fleurs séchées, velours, meubles anciens, etc. C’est Gala qui s’occupe de la décoration intérieure, achetant nombre de ces meubles dans des antiquaires d’Olot et de La Bisbal.

En plus de sa maison et de son espace de création, Portlligat devient également un lieu d’activité sociale tout à fait singulier, notamment pour Dalí. À de nombreuses reprises, il se transforme même en studio photographique ou plateau de tournage, où photographes, journalistes, médias et autres visiteurs du monde entier ont l’occasion de découvrir l’artiste et le personnage, deux dimensions indissociables, que Dalí intègre délibérément à son propre processus créatif et artistique. Gala l’accompagne souvent, bien qu’elle garde un profil plus discret, n’appréciant guère les apparitions publiques ni les déclarations à la presse. À partir du début des années 1970, Gala se retire principalement dans son espace personnel du Château de Púbol, que Dalí lui offre comme cadeau et symbole d’un amour courtois.

L’âge d’or de cette vie publique à Portlligat se situe entre 1972 et 1974. À bien des égards, la maison devient un lieu de rencontre et de création partagé avec d’autres artistes contemporains, évoquant, d’une certaine manière, la Factory d’Andy Warhol aux États-Unis.

Après la mort de Gala en 1982, Dalí quitte Portlligat pour s’installer au Château de Púbol, l’ultime lieu où il peindra ses dernières œuvres.

Depuis le 4 août 2009, il est également possible de visiter un autre espace situé dans la zone de l’Oliveraie : une construction circulaire que l’artiste utilisait comme atelier secondaire, notamment pour y créer des sculptures et réaliser des performances. Les ouvertures vitrées au plafond permettaient à Dalí de peindre ses pieds. On en trouve des exemples dans Le Palais du Vent (la Salle noble du Théâtre-Musée de Figueres). À l’extérieur de cette petite tour, il avait encastré des récipients en terre cuite percés, conçus pour siffler au passage de la tramontane. À l’intérieur, on peut voir un piano utilisé par Dalí lors de certaines actions artistiques. Deux projecteurs y diffusent simultanément des documents audiovisuels retraçant les années 1960 et 1970, avec Dalí et sa maison de Portlligat comme protagonistes.

Château Gala Dalí
Púbol

Le Château de Púbol est un projet créatif unique, né de l’amour, de l’admiration et de la complicité entre Gala et Salvador Dalí. Il reflète l’union sincère et affranchie des conventions du couple, une union qui s’exprime aussi à travers les espaces qu’ils imaginent et habitent ensemble. Pour l’artiste, le Château est un cadeau d’amour courtois, offert à celle à qui il voue un véritable hommage de vassalité. C’est un lieu où il déploie un effort créatif débordant, pensé exclusivement pour elle. Pour Gala, Púbol incarne enfin la conquête d’un espace personnel : un refuge où elle se retrouve avec elle-même, un sanctuaire intime chargé des souvenirs et des expériences les plus précieuses de sa vie.

Éléphant d’air du château de Púbol
Éléphant d’air du château de Púbol
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Il me fallait offrir à Gala un écrin plus solennellement digne de notre amour. C’est pourquoi je lui ai fait cadeau d’un manoir bâti sur les vestiges d’un château du XIIème siècle, à La Bisbal, l’ancien Château de Púbol, où elle règne en souveraine absolue, au point que je ne lui rends pas visite sans une invitation écrite de sa main. Je me suis contenté d’en décorer les plafonds afin qu’en levant les yeux elle me trouve toujours dans son ciel.

Salvador Dalí

Dès le premier instant, Gala et Salvador Dalí sont tous deux fascinés par l’aspect mystérieux et romantique de l’ensemble architectural, qu’ils découvrent à l’état de ruine. Ensemble, ils conçoivent les espaces intérieurs et extérieurs, et confient les travaux de restauration à leur ami et maître d’œuvre, Emilio Puignau. À la demande de Gala, l’artiste se charge lui-même de la décoration : il dessine certains éléments et crée de fausses architectures picturales sur les murs et les plafonds. Tout, dans le Château, célèbre le culte de Gala, protagoniste incontestée de cet espace du Triangle Dalinien, empreint d’une personnalité propre.

En 1969, Dalí acquiert l’ensemble architectural connu sous le nom de Château de Púbol, honorant ainsi une promesse faite à Gala dans les années trente. La bâtisse médiévale enchante sa destinataire, qui se passionne tout particulièrement pour le jardin et les fleurs, particulièrement les roses, qui lui rappellent le jardin de Crimée où elle avait passé quelques vacances d’été dans son enfance. Le domaine, toutefois, est dans un état de délabrement avancé : plafonds effondrés, fissures importantes, jardin à moitié sauvage. Autant d’éléments qui lui confèrent un charme romantique, que les Dalí s’efforceront de préserver tout au long du processus de restauration.

Gala et Dalí, avec l’aide technique d’Emilio Puignau, choisissent de consolider les structures du bâtiment sans dissimuler les cicatrices laissées par le temps, des marques que le couple considère, en réalité, comme des objets de fascination. Puignau rapporte à ce sujet le témoignage enthousiaste de Dalí, parlant de la façade : « J’y ai vu quelque chose de sublime : Non seulement elle est fissurée, mais la fissure elle-même forme une bavure, donnant l’impression qu’un cataclysme a eu lieu ici, un tremblement de terre ; qu’une partie est restée debout, ferme, tandis que l’autre s’est détachée et effondrée. Cela ne doit pas être retouché, il faut le laisser tel quel. »

Gala se montre elle aussi enthousiaste et très investie dans le suivi des travaux du Château. Dans une lettre adressée à Emilio Puignau, elle exprime pleinement la responsabilité qu’ils partagent : « Comme vous avez pu vous en apercevoir, Púbol est mon « cheval de bataille », ou plutôt, le nôtre.
Je suis fascinée par tout ce que cette maison en ruines peut offrir… Il pourrait même en sortir un monstre ! Jusqu’à présent, en travaillant ensemble, nous n’avons jamais rien raté à Portlligat.
Cette petite maison est devenue célèbre. Elle est reproduite partout, encore aujourd’hui. Nous avons donc une grande responsabilité de nouvelle mais grandiose réussite, vous et moi. » Son implication dans le projet de Púbol est totale : elle supervise et coordonne l’ensemble du processus de réhabilitation, et donne une forte impulsion à la décoration intérieure, pour laquelle elle passe plusieurs commandes à Dalí, qui grâce à sa polyvalence artistique, apporte une nouvelle lecture des espaces.

De nombreux dessins conservés dans les fonds de la Fondation Gala-Salvador Dalí témoignent du processus de création des différents espaces et éléments conçus spécialement pour le Château. Parmi eux figurent des esquisses de cheminées ou encore du projet de table-clairière (table-claraboia). À la demande de Gala, l’artiste imagine également : « 1. Un plafond de quinze mètres représentant, dans un ciel méditerranéen, une ouverture nocturne d’où tomberaient des objets surréalistes ; 2. Des chaises ne touchant pas le sol ; 3. Six éléphants-fontaines aux pattes de cigogne, menant à la piscine des vingt-sept têtes de Richard Wagner en céramique ; 4. Des paravents peints en trompe-l’œil, représentant des radiateurs pour les dissimuler ; 5. Des robinets et douches en or massif, destinés à la salle de bain. »

À l’intérieur, le résultat est un lieu clos, mystérieux, intime et sobre, composé d’espaces d’une grande beauté, comme l’ancienne cuisine transformée en salle de bain, la spectaculaire Salle des Blasons, ou encore la majestueuse Salle du Piano. À l’extérieur, le vieux jardin à la française a été italianisé et sublimé par des interventions daliniennes. Parmi les éléments les plus surprenants, on remarque notamment les éléphants-fontaines, qui semblent avancer en direction du Château, ou encore la fontaine d’inspiration classique, ornée d’un jet en forme de tête de baudroie, évoquant les célèbres monstres des jardins de Bomarzo, à Rome, que Dalí admirait tant. D’autres éléments, comme la gloriette ou les bancs au dossier en forme de fleur de lys, renforcent l’atmosphère romantique de ce lieu propice — selon les mots de Gala — « à une conversation sentimentale ».

Après la mort de Gala, en 1982, l’espace qu’elle avait tant chéri durant les dernières années de sa vie devient le lieu de son repos éternel, puisqu’elle est inhumée dans la Crypte, aménagée dans l’ancien Delme du Château. Dalí, résolu à ne pas être séparé d’elle, décide alors de s’installer à Púbol. C’est là qu’il tente de se remettre de sa perte, et qu’il établit ce qui deviendra son dernier atelier. Durant cette période, la chambre bleue de Gala devient la sienne, et les combles de la maison sont utilisés comme réserve, accueillant les œuvres que Dalí avait entreposées à New York et Paris. En 1984, cependant, un incendie accidentel l’oblige à être hospitalisé, et il ne reviendra jamais à Púbol.

En 1996, le Château de Púbol est ouvert au public. Le lieu comprend une Salle d’Expositions Temporaires consacrées principalement à la figure de Gala et à sa collection de mode, qui réunit des créations de grands couturiers internationaux ainsi que des pièces d’une grande valeur patrimoniale.