Dalí et Fages: "cette intelligente et si cordiale collaboration"

Montse Aguer
Centre d'Études Daliniennes. Fondation Gala-Salvador Dalí

El Punt, 2002

Dans le cadre des évènements  organisés par la ville de Figueres pour commémorer le centenaire de la naissance de Carles Fages de Climent, le Musée de l'Empordà accueille une fort intéressante exposition sur le personnage. Présentée en trois espaces, elle est accompagnée d'un catalogue soigné qui a pour but de  faciliter de futures recherches sur l'écrivain tout en revendiquant la figure du poète ampurdanais.

Nous aimerions nous concentrer ici sur l'un des aspects qu'aborde cette exposition : la relation entre Salvador Dalí et Fages de Climent. Ladite relation, qui a pratiquement commencé à la naissance des deux artistes - tous deux naquirent dans la rue Monturiol, à Figueres -, constitua pendant toute leur vie un lien très fort aux conséquences on ne peut plus intéressantes.

Dalí collabore avec Fages dès les années 20, puisqu'en 1924 il illustre Les bruixes de Llers (Les sorcières de Llers). En 1950, Fages publie son Poema dels tres reis (Poème des trois rois), illustré par Joan Commeleran. L'exemplaire que le peintre en conserve dans sa bibliothèque porte une dédicace de l'auteur qui dit ceci : " Je dédie le POÈME DES TROIS ROIS à Salvador Dalí, mon ami de toujours, en mémoire du cordonnier d'Ordis ". En 1954, Dalí illustre et écrit l'épilogue de la Balada del sabater d'Ordis (Ballade du cordonnier d'Ordis), œuvre que Fages de Climent lui dédie avec les mots suivants : " À Salvador Dalí, mon génial et fidèle ami, illustrateur de talent et rédacteur avisé de l'épilogue de la Balada del Sabater d'Ordis, avec affection - Fages de Climent, 1954 ". En 1956, un article publié dans la revue Canigó dans laquel Fages parle de Cadaqués inclut le texte de Dalí intitulé "Cadaqués, el poble més bonic del món" (Cadaqués, le plus beau village du monde), illustré par le peintre lui-même. En 1961, quelques années à peine avant le décès de Fages et à l'occasion de l'hommage que la ville de Figueres rend à Salvador Dalí, les deux artistes élaborent de concert une auca, composition de rimes plates illustrées intitulée El triomf i el rodolí de la Gala i en Dalí (Le triomphe et les rimes plates de Gala et Dalí), dont Fages écrit les vers et Dalí réalise les dessins qui, suivant l'exigence du genre, les accompagnent.

Ainsi, comme on peut s'en rendre compte, il y eut entre Salvador Dalí et Fages de Climent quelque chose de plus qu'une amitié. Le lien qui  les unit fut un lien d'étroite collaboration ; et même, nous pouvons affirmer qu'il n'y eut aucun écrivain catalan - et peu dans le reste du monde - avec qui Dalí ait travaillé aussi assidûment qu'avec Fages. Cependant, l'échange d'idées fût  mutuel. Dans une interview réalisée par Josep Maria Bernils et publiée dans Canigó en décembre 1955, le poète parle de Dalí en ces termes : " Nous avons grandi et étudié ensemble. Avoir un an de plus que lui fit qu'il eut toujours pour moi une grande considération et que nous avons éte  de grands amis. Il me fit l'honneur de collaborer à mon premier livre ". L'interview se poursuit par des commentaires concernant un projet commun qu'il ne révèle pas. On a un bel exemple de l'échange intellectuel qui s'établit entre les deux artistes   grâce à la genèse de El sabater d'Ordis. La dédicace que fait Fages à Dalí sur le Poema dels tres reis comporte déjà une allusion à cette œuvre qui sera publiée trois ans plus tard. Dans une lettre adressée au peintre et datée du 12 août 1951, actuellement conservée dans les archives du CED, Fages écrit : " En ce qui concerne El sabater d'Ordis, j'ai déjà terminé le poème. [...] J'ai ajouté une seconde partie presque aussi longue que celle que tu connais et je crois que je suis arrivé, et même mieux que dans la première, à concrétiser cette grande figure qui est nôtre. J'espère que tu pourras me faire et m'envoyer ton interprétation plastique du grand directeur du vent, datée de 1923. Je le publierai immédiatement. Le format sera celui du poème des Trois Rois, avec les mêmes marges. Ce me serait une immense joie de reprendre cette collaboration intelligente et si cordiale ".

On trouve un autre exemple de l'excellente communication et de la profonde connaissance mutuelle qui existait entre les deux personnages dans l'auca intitulée El triomf i el rodolí de la Gala i en Dalí, œuvre qui présente un résumé fidèle des mythes, des obsessions et de l'iconographie de Salvador Dalí. Les archives du CED conservent un document inédit - dont plusieurs reproductions sont présentées durant l'exposition - qui nous amène à penser qu'ils avaient peut-être décidé de continuer à travailler dessus. Il s'agit d'un texte dactylographié, portant des annotations autographes de Fages en espagnol, avec les images collées sur le document lui-même ; le texte est incomplet et nous manquons de références le concernant. Que ce document fasse partie du legs du peintre montre clairement que nous nous trouvons devant un travail à quatre mains. Il s'agit, concrètement, de la traduction en  castillan d'une partie des rimes plates - du vers 4 au vers 26 -, avec de longues explications du poète sur le sens de l'iconographie qui les illustre ainsi que sur la vie, la pensée et l'œuvre du peintre. Il comprend aussi des commentaires concernant la confection de l'auca et sa répercussion dans la presse de l'époque. Fages reconnaît que trois des rimes plates sont de Dalí, affirmation qui a été corroborée par son fils Pere Ignasi Fages.

La dernière collaboration entre le poète et le peintre fût à l'occasion d' El somni del cap de Creus (Le rêve du cap de Creus), une oeuvre  restée inédite à ce jour. Malgré cela, on connaît quelques fragments de l'œuvre comme la Oració al Crist de la tramuntana (Prière au Christ de la tramontane). En hommage posthume du peintre à Fages de Climent, nous ne pouvons que conseiller de regarder le superbe tableau Crist de la tramuntana, très ampurdanais et fruit de la relation cordiale entre deux illustres enfants de Figueres.

Fages de Climent (1902-1968). Poétique et mythique de l'Empordà
16 mai - 8 septembre 2002
Musée de l'Empordà, Figueres
Tél. 34 972 502 305
L'exposition  s'est également tenu à Barcelone et à Gérone.